jeudi 27 octobre 2016

"J'aurais voulu être une instit" Episode 6


Retour à la tradition et fin d'un beau rêve





Est-ce l'intrusion progressive des parents dans l'école qui a entraîné la dévalorisation du métier d'enseignant où est-ce le contraire?
Dans les années 80, si l'instituteur avait perdu le statut de notable qui lui avait été conféré au début du siècle, il avait conservé l'image de celui qui détient le savoir et était respecté. Du moment qu'il appliquait le programme imposé par l'académie, son travail n'était pas contesté par les parents, qui, pour la plupart, suivaient docilement ses consignes, quitte à compléter à la maison ce qui leur semblait insuffisant. Il y avait bien des grincheux et des parents qui pensaient avoir engendré un génie, mais les revendications franchissaient rarement le seuil de l'école, domaine réservé aux enseignants.
J'avais entendu certaines de mes amies instits parler des parents de manière condescendante, tandis que d'autres étaient plutôt sur leurs gardes et je trouvais dommage d'établir ainsi des barrière entre parents et enseignants alors que leur but était commun.
Aussi j'attendais beaucoup de la journée "portes ouvertes" où nous avions préparé des mises en scène destinées à inciter les parents à participer à la vie scolaire de leurs enfants. Ce fut un fiasco. A peine cinq ou six parents se donnèrent la peine de se déplacer. Je ravalais ma déception devant les enfants, essayant de comprendre la raison de leur défection et en tirais la conclusion qu'il fallait les attirer autrement.
J'eus une idée de génie, enfin je le croyais, toute naïve que j'étais. Puisque j'avais le droit d'emprunter un nombre illimité de livres, j'allais prendre également des romans pour adultes et dédier un rayon de la bibliothèque aux parents. Je me régalais d'avance de ce futur partage, choisissant avec soin des lectures qui m'avaient particulièrement plu. Il ne s'agissait pas d'instruire les parents mais de les distraire et de ce fait, mon choix s'était porté sur des romans légers.
Poussés par la curiosité, de nombreux parents vinrent voir cette curieuse bibliothèque placée dans l'antre de leurs chérubins. Quelques uns furent intéressés et repartirent avec un livre. Je profitais de leur présence dans l'école pour leur expliquer ce que nous faisions avec les élèves et certains furent carrément emballés. Hélas, parmi nos visiteurs, il n'y avait pas que des gens bienveillants.
Quelques mois plus tard, le directeur reçut la visite surprise d'un inspecteur qui lui demanda de voir les carnets scolaires des enfants. Or, avec la méthode Freinet, il n'y a pas de notes. Sans écouter ses explications, il lui mit un avertissement et voulut immédiatement visiter les lieux. Si j'avais été présente ce jour là, peut-être aurais-je trouvé les mots pour me défendre lorsqu'il s'est dirigé vers le rayonnage des parents en demandant d'un air dédaigneux :"C'est ce genre de littérature que vous enseignez aux enfants que nous vous confions?" J'avais eu le malheur de mettre un livre de Guy des Cars, cet auteur à succès si méprisé des intellectuels qui le surnommaient "Guy des gares" prétendant que ses livres étaient des romans de gare.
Le verdict est tombé peu après. Suite à une pétition des parents dénonçant une mauvaise méthode d'enseignement, confirmée par l'inspecteur de l'académie, l'équipe pédagogique de l'école allait être remplacée à la rentrée prochaine. Quant à moi, j'allais devoir prendre mes cliques et mes claques, où plus exactement rendre mes livres, car les nouveaux enseignants, selon le vœux des parents d'élèves, allaient reprendre la méthode traditionnelle où je n'avais plus ma place.

Mais je n'avais pas dit mon dernier mot et quelques années plus tard, je m'introduisais à nouveau dans une école.
Suite la prochaine fois...




2 commentaires:

  1. Oh c'est bien triste comme fin de cette expérience-là, que je trouvais réjouissante, et dont les épisodes sont passionnants ! Compliqué, parfois, de mettre en place des pratiques innovantes (pourtant Freinet n'était déjà plus une nouveauté dans les années 80...). En tout cas votre récit en est captivant, j'adore, merci pour le bon moment !

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  2. Merci!Merci également pour votre chronique sur mon roman La compagnie des livres dont je vais rajouter le lien sur ma page.

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