samedi 20 mars 2021

Appelons un chat, un chat.


 

CLIENT



Mon père était généraliste dans les années 60-70. Il était celui qu'on appelait alors le médecin de famille.  Disponible 24h sur 24, 6 jours sur 7 (avec un dimanche de garde par mois), il soignait tout le monde, du nourrisson au grand-père âgé. Il était accueilli dans leurs foyers, connaissait leurs habitudes, recevait leurs confidences, voyait grandir leurs enfants. Tant qu'il ne l'avait pas examiné, il considérait chaque malade comme une urgence potentielle, n'hésitant pas, sur un simple appel, à se tirer du sommeil ou à sauter un repas pour se rendre à son chevet. Mon père n'était pas un saint, il exerçait simplement son métier du mieux qu'il pouvait. Nous vivions, certes confortablement, mais si l'on ramenait le prix de la consultation au taux horaire, ce n'était pas cher payé. Car mon père ne comptait pas ses heures. Pourtant, ces gens auprès de qui il a passé plus de temps qu'auprès de sa propre famille et qu'il chérissait au point d'immortaliser leur histoire dans un recueil de nouvelles, il n'avait pas honte de les appeler ses clients. 

Aujourd'hui, il n'est plus là et ma mère a dû se résigner à 90ans à se trouver un généraliste. Elle s'étonne du manque d'empathie du médecin, qui, les yeux rivés à son écran, ne prend pas la peine de répondre à ses questions et n'attend pas qu'elle ait reboutonné sa veste avant d'ouvrir la porte du cabinet en lui tendant la main. Il a pourtant inséré sa carte bleue dans son appareil, mais aujourd'hui ma mère n'est plus une cliente, c'est une patiente. 


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J'ai passé quarante ans à Air France. Que ce soit à l'enregistrement, à l'embarquement ou à bord, le rôle du personnel, pourtant appelé commercial, était d'assurer le bon déroulement du voyage de ceux que nous nommions à juste titre nos passagers. Au comptoir vente où j'ai passé mes dernières années de service, nous comptabilisions le nombre de billets vendus, faisions le total de nos recettes, bien conscients de la valeur marchande de ceux que nous appelions également nos passagers. Il y avait à travers ce mot, une sorte de lien affectif entre eux et nous. Et puis un jour, notre direction nous a imposé de les appeler nos clients...


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