samedi 25 juillet 2020

Histoires d'espoir



    CONFINEMENT


















 Le soleil déclinait, faisant rougeoyer le ciel au-dessus des toits de Paris, un Paris aux rues désertes, dont l’absence de voitures commençait à rendre l’air respirable. Respirer ! C’était un mot presque tabou en ce mois d’avril 2020 où sous peine de mourir étouffé à l’hôpital, on suffoquait derrière des masques de fortune. Privés des senteurs printanières retrouvées, les Parisiens consignés chez eux faisaient contre mauvaise fortune bon cœur. Ils avaient réinventé les jeux de leur enfance et le fait maison de leurs grand-mères. La tension montait parfois dans les logements exigus où il fallait jouer tour à tour, le rôle d’enseignant, de nounou, de parent attentionné et d’employé motivé. Une seule issue : la fenêtre avec parfois un balcon, au mieux une terrasse. La tendance s’était inversée en cette période de confinement. La cote des pavillons de banlieues était montée en flèche. Vivre à la campagne était devenu un luxe.
Vingt heures. Une salve d’applaudissements retentit. Elle résonnait de fenêtre en fenêtre, et se répandait dans la France entière, tout comme ce virus meurtrier qui faisait si peur. On frappait dans ses mains, sur des casseroles, on criait, on sifflait, certains en profitaient pour exercer leurs talents de musicien ou de chanteur. On saluait les soignants, ceux qui risquaient leur vie pour en sauver d’autres, la nôtre peut-être un jour… Une euphorie de trois minutes, un rendez-vous quotidien après lequel chacun allait rentrer chez soi.

 Juchée sur les épaules de mon père, je fis coucou à la petite fille que j’apercevais tous les soirs dans l’immeuble en face. Elle devait avoir à peu près mon âge.
—Papa, tu crois qu’on pourra l’inviter pour mon anniversaire ?
—Louise, ma chérie, je t’ai déjà expliqué qu’on fêterait tes six ans un peu plus tard, quand le confinement serait terminé. En attendant, pour le jour de ton anniversaire, on va faire un beau gâteau et on soufflera tes bougies tous les quatre.
—Mais c’est quand la fin du confinement ?
Tous les soirs, après les applaudissements, papa et maman mettaient face time sur la télé et on communiquait avec Papi et Mamie. Téo, mon petit frère, faisait le clown et tout le monde riait. Moi, ça me rendait triste. J’avais envie de les voir en vrai, de me serrer contre Mamie et de lui faire des bisous, de sentir son odeur de poudre sur les joues. J’aurais voulu sauter sur les genoux de papi pour l’écouter me raconter des histoires. Avant, on allait tout le temps chez eux, le mercredi ils m’emmenaient au poney. Depuis le coronavirus, on n’avait plus le droit. On nous avait dit que c’était très dangereux de voir ses grands-parents. 
J’en avais trop marre de ce virus. On avait bien rigolé avec Emma quand la maîtresse nous avait expliqué que des Chinois avaient mangé des chauves-souris et que c’était à cause de ça qu’ils étaient malades. On avait dit « beuuurk, nous ça ne risque pas de nous arriver ». Je n’aimais pas manger les animaux. J’aurais voulu être végétarienne comme ma tata Lily, mais mes parents n’étaient pas d’accord. Ils disaient que la viande ça donnait des forces. Ça me semblait bizarre : ma Tata, elle était super forte pourtant, puisqu’elle défendait les femmes. Mais j’obéissais et avalais mon steak haché enfoui sous une tonne de ketchup.  La maîtresse nous avait grondées. Elle nous avait dit que ce n’était pas drôle du tout. Le coronavirus était une maladie très très grave, qu’on pouvait attraper même si on n’avait pas mangé de chauve-souris, juste en se la repassant, comme la gastro. Et qu’il y en avait partout dans le monde parce que des gens avaient été en Chine et l’avaient ramené dans l’avion.
—Les enfants allez mettre votre pyjama maintenant, mais avant, n’oubliez pas de vous laver les mains.
—Encore !
On se lavait tout le temps les mains. Il fallait frotter avec le savon et compter jusqu’à vingt pour faire partir les microbes.
Quand le président de la république avait annoncé que tout le monde devrait rester à la maison et qu’il n’y aurait plus d’école, on avait pris ça pour des vacances. On s’était complètement trompés. Maman avait remplacé la maitresse et pas question de veiller le soir. Sur le frigo, elle avait affiché un planning pour chacun de nous. Sous forme de dessins pour Téo et moi qui ne savions pas lire. Papa et maman faisaient tous les deux du télétravail. J’avais souvent vu papa travailler chez nous sur son ordinateur le soir et des fois le week-end. Je savais qu’il ne fallait pas le déranger. Cette fois c’était plus compliqué parce qu’ils devaient travailler tous les deux et s’occuper de nous en même temps. Il fallait beaucoup d’organisation. On avait des codes. Ne pas faire de bruit quand ils étaient au téléphone. Téo, à trois ans ne comprenait pas toujours et ils étaient souvent obligés d’aller s’enfermer sur le balcon pour être tranquilles.
C’était l’heure d’aller se coucher et Téo faisait la comédie pour que maman vienne lui lire une histoire. Je lui expliquai :
—Ce soir, c’est le tour de papa. Maman a joué avec nous cet après-midi, maintenant elle doit travailler.
Il se calma et se glissa sous mes draps avec son doudou tout mouillé de larmes et de salive. Papa s’assit sur le bord du lit et commença la lecture du livre qu’on avait choisi. C’était vrai qu’il ne savait pas trop mettre le ton quand il lisait, mais j’aimais bien qu’il soit près de nous. Avant ça n’arrivait jamais, il rentrait toujours trop tard ou bien il était trop fatigué. Depuis qu’on était tous à la maison, je me rendais compte que maman avait autant de travail que lui et qu’elle devait être fatiguée, elle aussi, le soir. D’ailleurs, tout avait changé. Papa s’était mis à la cuisine et il faisait de trop bons gâteaux. Téo s’endormit en suçant son pouce. Papa le porta dans son lit sans le réveiller, puis il sortit en laissant la porte entrebâillée. Je n’aimais pas le noir complet. Mais je voulais surtout permettre à Dolly, notre chatte, de venir me retrouver. Dès que papa fut sorti, elle se faufila par l’ouverture et sauta sur mon lit en ronronnant. J’aimais sentir son poids sur mes pieds. Quelquefois pour m’amuser, je remuais les doigts de pieds et elle essayait de les attraper. Je sentais ses petites dents à travers la couette et ça me faisait rire. Cette fois, elle vint se réfugier entre mes bras et je posai ma tête sur la petite boule de fourrure. Elle, elle s’en fichait pas mal du confinement. De toute façon, elle n’avait jamais le droit de sortir. Même pas sur le balcon parce qu’elle allait vouloir attraper les pigeons, et même si on disait que les chats retombaient toujours sur leurs pattes, elle pouvait se tuer si elle loupait son coup. La pauvre ! On était au dernier étage et je suis sure qu’elle aurait bien aimé aller se promener sur les toits la nuit comme les Aristochats. Au début du confinement, les gens ont eu tellement peur de manquer, qu’ils se sont précipités dans les magasins et ont tout pris. Quand on est allés faire les courses, les rayons étaient vides. On n’avait plus de papier toilette et comme on ne pouvait pas s’essuyer, on était obligés d’aller à la douche quand on avait fait caca. Mais le problème, c’est qu’il n’y avait plus rien non plus pour mettre dans la litière de Dolly. Elle allait quand-même dedans et quand elle voulait recouvrir avec sa patte, elle grattait dans le vide. Ça nous avait bien fait rire avec Téo. Maman, elle, ne rigolait pas du tout parce qu’il y avait des traces de pattes pleines de pipi de chat partout.
Le matin, papa et maman se levaient toujours avant nous pour travailler et c’était moi qui devais m’occuper du petit déjeuner de Téo. J’ouvris le frigo et sortis le lait. Je savais qu’il allait encore râler parce qu’il n’y avait pas ses céréales préférées. Il ne comprenait pas qu’on ne puisse plus faire les courses comme avant. On faisait une commande sur internet une fois par semaine et on se faisait livrer. Il n’y avait pas toujours ce qu’on avait demandé et souvent il fallait attendre une semaine de plus. Je lui donnai un des cookies qu’on avait faits avec papa et il partit avec devant la télé. Le matin, pendant que maman était au téléphone dans sa chambre, on avait le droit de regarder les dessins animés à la télé. Puis, on allait s’habiller et on se mettait au travail sur la table de la salle à manger. Maman me faisait faire de l’écriture et m’apprenait à reconnaître des mots. J’en connaissais déjà plein et je savais aussi lire coronavirus et restez chez vous, parce que je les voyais tout le temps à la télé. Pendant ce temps, Téo faisait du coloriage ou du découpage. C’était bien, mais la récré et mes copines me manquaient. On s’appelait souvent sur WhatsApp mais j’avais surtout envie de jouer avec elles.
Ce soir-là, j’appelai Dolly pour lui donner sa pâtée mais elle ne vint pas. D’habitude, il me suffisait de taper sur le bord de la boîte avec une cuiller pour la voir accourir. Je m’inquiétai. On la chercha partout. Sous les lits, dans les placards. Pas de Dolly.  Maman demanda à papa :
—Tu as bien refermé la fenêtre derrière toi quand tu es sorti sur le balcon ?
—Je ne me souviens plus. J’avais une conf call avec mon boss, je n’ai pas fait attention.
—Mais enfin, Arnaud, tu aurais pu y penser quand-même !
—Elle doit être cachée dans un coin de l’appartement. Elle ne s’est pas envolée !
Maman sortit sur le balcon et pencha la tête au-dessus de la rambarde. Quelque fois papa nous laissait nous approcher en nous tenant pour qu’on regarde dans la rue. Téo adorait voir les voitures toutes petites d’en haut. Moi je n’aimais pas ça, ça me donnait le vertige. Elle appela :
—Dolly ! Dolly ! Si elle est partie par les toits, on n’est pas près de la revoir.
Je me mis à pleurer.
—Elle va revenir, hein, papa ?
—Mais, oui, ma puce. Ne t’inquiète pas. Si elle est partie elle saura bien retrouver son chemin.
Maman était très en colère contre papa et ce fut elle qui vint nous coucher. Elle lut une histoire à Téo, mais moi je n’avais pas le cœur à ça. J’avais trop de peine. Et puis je ne pouvais pas m’endormir sans ma petite Dolly.
Les jours passèrent sans que Dolly revienne. Maman avait rangé sa litière et jeté la pâtée du frigo. Moi, j’avais une boule dans la gorge qui ne passait pas. J’en voulais un peu à papa de l’avoir laissé partir. Je me demandais ce qu’elle était devenue. Est-ce qu’elle avait rencontré une bande de chats et qu’elle courait sur les toits la nuit, ou est-ce qu’elle nous attendait au parc où nous la retrouverions après le confinement ? Il faisait très beau. Maintenant qu’elle n’était plus là, papa laissait la porte-fenêtre ouverte et nous allions souvent le rejoindre sur le balcon. A présent, je me moquais bien de mon vertige et j’acceptais que papa me soulève pour regarder en bas. J’avais toujours l’idée de la retrouver. Un jour, je poussai un cri en montrant du doigt :
— Papa regarde, elle est là ! C’est Dolly ! Là, sur le balcon en dessous !
—Quel balcon ? Tu es sûre que tu ne te trompes pas ?
—Papaaa ! C’est elle, je te dis !
—Oh mais tu as raison !
Je trépignai :
—On va la chercher, on va la chercher !
—Attends, il faut que je calcule de quel appartement il s’agit. Je ne connais personne dans l’immeuble, moi. Et puis en période de confinement, on ne peut pas aller chez les gens comme ça…
—Ils ont volé notre chat. On peut appeler la police, sinon ?
—Non, ma chérie. On n’appelle pas la police pour ça.
—Qu’est-ce qu’on va faire alors ?
Je sentais mes larmes couler. Il fallait qu’on la récupère, maintenant qu’on savait où elle était.
Papa avait compté les balcons et avait repéré l’appartement. Nous mîmes chacun un masque et des gants et nous allâmes sonner. Une petite voix nous répondit derrière la porte.
—Qui est-ce ?
Papa me fit signe de répondre.
 —Je m’appelle Louise. J’ai six ans et j’habite dans votre immeuble. J’ai perdu ma chatte il y a quelques jours et je viens de la voir sur votre balcon. Je viens la chercher. Vous pouvez m’ouvrir. Je ne vous donnerai pas le coronavirus. J’ai mis un masque et des gants.
On entendit le bruit du verrou et une tête passa dans l’entrebâillement de la porte. C’était une vieille dame aux cheveux blancs et à l’air tout doux.
—Je l’aimais bien votre chatte. Je l’avais appelée Minette. Je crois qu’elle était bien avec moi. Elle me tenait compagnie…
Je pensai à grand-mère, la maman de papi, qui était toute seule dans sa maison de retraite et qu’on ne pouvait plus aller voir. Maintenant qu’on l’avait retrouvée, je n’étais plus aussi pressée de récupérer Dolly. Je lui répondis :
—Si vous voulez, je vous la prête. Je viendrai la reprendre à la fin du confinement.
—Oh, comme tu es mignonne !
Je vis une larme couler entre ses rides et j’eus envie de pleurer, moi-aussi. Papa lui demanda :
—Comment vous débrouillez-vous pour faire vos courses ?
—C’est gentil de vous en préoccuper. Une dame passe toutes les semaines et me dépose ce qu’il me faut devant ma porte.
On remonta à la maison, sans Dolly mais avec le numéro de téléphone de la vieille dame. Maman étonnée de nous voir revenir bredouille, nous demanda :
—Alors ?
Papa répondit :
—Je crois que nous aurons tous beaucoup appris de ce confinement.

FIN


Comme son nom l'indique, cette nouvelle a été écrite pendant le confinement, afin d'intégrer un recueil numérique dans lequel Librinova  a réuni 20 auteurs.
La totalité des bénéfices est reversée à la Fondation de France.

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