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Illustration Sylvie T |
Mon ami
d’enfance venait de nous quitter après une longue maladie. Il était célibataire
et sans enfants et sachant sa fin proche, il avait rédigé un testament
répartissant ses biens auprès des personnes qui lui étaient chères. Son frère
hérita de l’appartement avenue Borriglione et contre toute attente, ce fut moi
qui écopai du pointu. Bien qu’ayant grandi sur les collines de Cimiez
desquelles on apercevait la grande bleue, j’étais une piètre nageuse et si
j’aimais me tremper dans son eau transparente, je n’étais pas vraiment à l’aise
dessus.
J’avais appris que le bateau avait son emplacement au Cros de Cagnes où, par le plus grand des hasards, je vivais depuis peu. Je fus très affectée par la disparition de Charlie avec qui un pan de ma jeunesse s’était envolé, et je tardai à m’occuper de cet héritage insolite. Le port m’avait informée qu’une coquette somme allait désormais grever mon budget tous les mois. Lou Pounchut était un cadeau empoisonné, mais c’était mon dernier lien avec celui qui jadis partagea mes bancs d’école et je ne pouvais me résoudre à m’en séparer. Je décidai finalement de passer le permis côtier. Je sortais d’un divorce difficile, mes enfants avaient quitté le nid. J’avais des envies d’émancipation. Naviguer seule au milieu des flots, fut-ce sur un petit bateau à moteur, me parut un beau défi pour commencer. Cerise sur le gâteau, le comité d’entreprise de la société qui m’employait proposait des tarifs préférentiels. Je m’achetai le code Vagnon et ainsi que j’avais vu faire mes enfants quelques années auparavant pour le permis de conduire, je téléchargeai toutes les applications proposant des tests. Je passai des soirées entières à m’entrainer, parfois jusque tard dans la nuit et je pus ainsi franchir la porte du bâtiment des affaires maritimes le sourire aux lèvres. Aucune balise, aucun vent contraire ou feu clignotant ne m’échapperait. En effet, alors que je voyais d’autres candidats transpirer sur leur QCM, je réussis haut-la-main cette première étape. Je pouvais déjà préparer ma casquette de marin.
J’avais appris que le bateau avait son emplacement au Cros de Cagnes où, par le plus grand des hasards, je vivais depuis peu. Je fus très affectée par la disparition de Charlie avec qui un pan de ma jeunesse s’était envolé, et je tardai à m’occuper de cet héritage insolite. Le port m’avait informée qu’une coquette somme allait désormais grever mon budget tous les mois. Lou Pounchut était un cadeau empoisonné, mais c’était mon dernier lien avec celui qui jadis partagea mes bancs d’école et je ne pouvais me résoudre à m’en séparer. Je décidai finalement de passer le permis côtier. Je sortais d’un divorce difficile, mes enfants avaient quitté le nid. J’avais des envies d’émancipation. Naviguer seule au milieu des flots, fut-ce sur un petit bateau à moteur, me parut un beau défi pour commencer. Cerise sur le gâteau, le comité d’entreprise de la société qui m’employait proposait des tarifs préférentiels. Je m’achetai le code Vagnon et ainsi que j’avais vu faire mes enfants quelques années auparavant pour le permis de conduire, je téléchargeai toutes les applications proposant des tests. Je passai des soirées entières à m’entrainer, parfois jusque tard dans la nuit et je pus ainsi franchir la porte du bâtiment des affaires maritimes le sourire aux lèvres. Aucune balise, aucun vent contraire ou feu clignotant ne m’échapperait. En effet, alors que je voyais d’autres candidats transpirer sur leur QCM, je réussis haut-la-main cette première étape. Je pouvais déjà préparer ma casquette de marin.
Je garai ma
voiture sur le parking du port Vauban et me dirigeai vers l’emplacement que
m’avait indiqué mon formateur dans son email. Il était six heures du matin. Jamais
je n’avais vu le port d’Antibes aussi calme. Seuls les clapotis de l’eau caressant
la coque des bateaux, et le cliquetis des mats venaient troubler son silence. Le
contrôle continu avait récemment remplacé l’examen des épreuves pratiques. Cela
convenait bien à mon tempérament émotif, mais nécessitait une vraie relation de
confiance avec mon instructeur qui se présenta sous le prénom de Maxime. Après m’avoir fait récapituler le vocabulaire
maritime, il démarra.
Tandis qu’il manœuvrait pour quitter la place et que nous nous dirigions vers la sortie du port, je passais mentalement en revue ce je que j’avais appris, tentant de me souvenir de quel côté il faudrait passer si l’on rencontrait, par exemple, une cardinale ouest. Il interrompit mes pensées :
Tandis qu’il manœuvrait pour quitter la place et que nous nous dirigions vers la sortie du port, je passais mentalement en revue ce je que j’avais appris, tentant de me souvenir de quel côté il faudrait passer si l’on rencontrait, par exemple, une cardinale ouest. Il interrompit mes pensées :
—A toi,
maintenant !
Je le rejoignis
à l’arrière et saisis la barre qu’il me désignait. A ce moment-là, je compris
que malgré mon grand succès aux épreuves théoriques, j’étais loin de savoir
gouverner un bateau. Il commença par m’apprendre à m’arrêter. Ce qui
effectivement me semblait le B.A. BA. Mais lorsqu’il tenta de m’expliquer qu’il
fallait pour cela passer la marche arrière afin de casser l’erre, cela se
compliqua. Le terme était pour moi aussi abstrait que la manœuvre qu’il représentait.
En voiture, il suffisait d’appuyer sur une pédale pour freiner ! Devant mon
désarroi, il sourit et me rassura :
—Ne t’en fais
pas, ça viendra.
Je ne demandais
qu’à le croire… Pour avancer, c’était simple. Je partis donc tout droit. Sur la
gauche, on apercevait Marina baie des anges et derrière, le port de Saint-Laurent
du var. Plus loin, on devinait Saint-Jean Cap Férat. Devant l’horizon qui
s’étendait à l’infini, un intense sentiment de liberté s’empara de moi. Maxime
me fit virer à droite et nous entrâmes dans la baie d’Antibes. Le ciel, encore
teinté de rose, irisait la mer de son reflet. Un gabian passa au-dessus de nos
têtes en poussant un cri. Il n’y avait pas la moindre houle et j’aimais cette
sensation de glisser sur l’eau.
Max avait
raison. A force de persévérance, je finis par accomplir toutes les manœuvres
sans son aide et parvins à secourir le fameux homme à la mer.
Une semaine plus tard, le précieux sésame m’attendait dans ma boîte aux lettres. Ce jour-là, il pleuvait et la mer, très agitée, était aussi grise que le ciel. Ici, personne ne sortait par un temps pareil, surtout pas moi, mais je voulus immortaliser l’évènement. Je posai à la barre de mon pointu, mon portable d’une main et mon permis tout neuf de l’autre. Ma photo partit aussitôt sur les réseaux sociaux. J’étais fière de moi mais je voulais surtout faire taire les clichés : sur la côte, les femmes ne naviguaient pas toutes allongées sur le pont d’un yacht.
Une semaine plus tard, le précieux sésame m’attendait dans ma boîte aux lettres. Ce jour-là, il pleuvait et la mer, très agitée, était aussi grise que le ciel. Ici, personne ne sortait par un temps pareil, surtout pas moi, mais je voulus immortaliser l’évènement. Je posai à la barre de mon pointu, mon portable d’une main et mon permis tout neuf de l’autre. Ma photo partit aussitôt sur les réseaux sociaux. J’étais fière de moi mais je voulais surtout faire taire les clichés : sur la côte, les femmes ne naviguaient pas toutes allongées sur le pont d’un yacht.
S’il avait
conservé sa jolie couleur bleue, caractéristique des barques de pêche niçoises traditionnelles,
l’auvent dont l’avait équipé Charles donnait à son bateau une allure plus
moderne, et le mécanicien que je fis venir pour la révision fut étonné de
constater la puissance de son moteur. Je lui demandai si avec mon pointu, je
pouvais aller jusqu’aux îles de Lérins, but ultime de tout plaisancier local.
—Sans problème !
Me répondit-il. Avec ses huit mètres de long, il est aussi fiable que n’importe
quel autre bateau. En plus, ces barques ont été conçues pour la méditerranée.
Leur forme a été étudiée pour affronter les vagues courtes et croisées que nous
avons ici, et pour défier les tempêtes. Méfiez-vous seulement en sortant du cap
d’Antibes, quand vous verrez la mer bouillonner. C’est un passage qu’on appelle
le chaudron. Il vaut mieux essayer de le contourner. Ce n’est pas vraiment
dangereux mais c’est impressionnant quand on n’a pas l’habitude.
Après m’être
délestée une nouvelle fois de quelques centaines d’euros, je le remerciai. J’étais
ravie d’apprendre que mon bateau pourrait affronter les tempêtes mais je ne lui
en donnerais pas l’occasion. Ici on n’était pas en Bretagne et en cas de
mauvais temps, il resterait au port.
Mon jour de
repos suivant, le ciel était bleu et le soleil radieux. Le temps était venu
pour moi de mettre en pratique mes nouvelles compétences et de profiter de ma
récente acquisition. Consciencieusement, je fis la check-list : gilet et
bouée de sauvetage, fusées de détresse, extincteur, mon portable chargé à bloc posé
devant moi en cas d’urgence. Tout y était. Malgré les contractions de mon abdomen
et le léger tremblement de mes mains lorsque je mis la clé dans le démarreur,
j’étais prête.
En quittant le
petit port du Cros, je croisai le regard étonné d’un homme en salopette de
marin qui rentrait, des poissons jonchant sa cale. Remplie de fierté, je lui
fis un signe de la main. C’était l’un des derniers pêcheurs cagnois chez qui
j’allais régulièrement me fournir à la halle. Je partis vers le large, et mis
le cap sur le phare de Nice. A l’endroit où le var déversait ses eaux boueuses,
gonflées par les pluies tardives de printemps, la mer changeait de couleur et
son bleu turquoise prenait des teintes verdâtres. Un bruit assourdissant me fit
lever la tête. Un avion me survolait de si près que je vis son train
d’atterrissage sortir. Impressionnée, je le regardai raser l’eau avant de poser
ses roues sur la piste. Je m’en écartai et enfin, la baie des anges m’apparut.
Je longeai la Prom’ en prenant bien soin de ne pas m’approcher à moins de trois-cent mètres du littoral. Je dépassai le Negresco, puis le jardin Albert Premier.
C’était magique de découvrir sous un angle nouveau cet endroit que j’avais parcouru des milliers de fois. Quand j’atteignis Rauba capeu, je décidai de poursuivre ma route vers Villefranche-sur-Mer. J’accélérai. Le vent caressait mon visage, les embruns laissaient sur mes lèvres un goût salé. J’étais grisée. Soudain, je me raidis : à travers l’eau transparente, j’avais aperçu la pointe d’un rocher. Je ralentis aussitôt et m’éloignai du bord. Le Mont Boron se dressait devant moi, révélant ses magnifiques villas invisibles de la route. J’entrai dans la rade de Villefranche. Les bougainvilliers étalaient leur splendeur en parsemant de rouge, de fuchsia et de violet les façades des maisons qui se détachaient sur le ciel d’azur. J’aurais pu me croire au paradis sans l’énorme paquebot stationné à la sortie de la baie. Refusant de me laisser perturber par le ronronnement de son groupe électrogène et le ballet incessant des navettes transportant ses occupants, je déroulai mon ancre, accrochai l’échelle et me plongeai avec délice dans l’eau encore un peu fraîche de ce mois de juin.
Je longeai la Prom’ en prenant bien soin de ne pas m’approcher à moins de trois-cent mètres du littoral. Je dépassai le Negresco, puis le jardin Albert Premier.
C’était magique de découvrir sous un angle nouveau cet endroit que j’avais parcouru des milliers de fois. Quand j’atteignis Rauba capeu, je décidai de poursuivre ma route vers Villefranche-sur-Mer. J’accélérai. Le vent caressait mon visage, les embruns laissaient sur mes lèvres un goût salé. J’étais grisée. Soudain, je me raidis : à travers l’eau transparente, j’avais aperçu la pointe d’un rocher. Je ralentis aussitôt et m’éloignai du bord. Le Mont Boron se dressait devant moi, révélant ses magnifiques villas invisibles de la route. J’entrai dans la rade de Villefranche. Les bougainvilliers étalaient leur splendeur en parsemant de rouge, de fuchsia et de violet les façades des maisons qui se détachaient sur le ciel d’azur. J’aurais pu me croire au paradis sans l’énorme paquebot stationné à la sortie de la baie. Refusant de me laisser perturber par le ronronnement de son groupe électrogène et le ballet incessant des navettes transportant ses occupants, je déroulai mon ancre, accrochai l’échelle et me plongeai avec délice dans l’eau encore un peu fraîche de ce mois de juin.
L’été battait
son plein. Je n’avais plus mis un pied sur une plage. Mon lieu de prédilection
était devenu le cap d’Antibes où je venais mouiller en toute tranquillité,
parfois en compagnie d’amis avec qui nous partagions un verre à la tombée de la
nuit. J’adorais me trouver sur l’eau juste avant que le soleil se couche, quand
la lumière devenue plus douce ravivait les couleurs du paysage qui m’entourait.
Puis un jour, je
décidai de sauter le pas. La mer était d’huile et je sentais déjà le soleil me
brûler les épaules. Une belle journée estivale s’annonçait. Je parcourus le
trajet sans encombre et quarante-cinq minutes après avoir quitté le Cros, les îles
sœurs apparurent devant moi. Je me frayai un passage entre les nombreux bateaux
au mouillage et jetai l’ancre le plus près possible de Sainte-Marguerite, dans
une anse où j’étais souvent venue me baigner. Ne pas avoir à marcher avec le
pique-nique sur le dos me parut un luxe extraordinaire. C’était un dimanche
d’Août et les familles étaient au rendez-vous. Entre les enfants qui
barbotaient sur la plage et ceux qui sautaient des bateaux, l’ambiance ressemblait
davantage à celle d’Aqualand qu’à celle de Robinson Crusoë. Je ne boudai
cependant pas mon plaisir de nager dans l’eau translucide et en m’éloignant un
peu, je trouvai la quiétude que j’étais venue chercher. Vers dix-sept-heures, les
premiers bateaux commencèrent à plier bagages. Allongée sur le pont, la tête
calée sur un coussin, je me réjouissais de les voir partir les uns après les
autres. J’avais prévu de rentrer au crépuscule et j’allais pouvoir profiter de
ma soirée au calme. Je me laissai bercer par le roulis, mes yeux suivant les
oscillations des mats. Je m’assoupis. Un courant d’air frais me fit frissonner.
Le soleil était caché. Je levai la tête et vis de gros nuages noirs. Autour de
moi, plus un plaisancier. Je me précipitai sur mon portable pour consulter la
météo. Pas de réseau. Mon cœur s’affola dans ma poitrine. Pourquoi n’avais-je
pas regardé plus tôt ? Le bateau bougeait de plus en plus et la mer devenait
houleuse. Un éclair zébra le ciel. La première goutte vint s’écraser sur ma
joue au moment où je démarrais, paniquée à l’idée de me retrouver dans une
tempête. Rapidement, des creux se formèrent et un rideau de pluie s’abattit sur
moi. Je voyais les vagues arriver et se fracasser sur la coque, m’inondant au
passage. Je me cramponnai à la barre, trempée, oubliant tout ce que j’avais
appris, me laissant guider par mon instinct. Je tremblais autant de peur que de
froid. Je m’en voulais tant de cet orgueil qui m’avait fait croire que je
pouvais m’en sortir seule. Je me retenais de ne pas hurler, en proie à une
terrible angoisse. J’allais périr en mer et personne ne le saurait. La prudence
me fit renoncer à rentrer à Cagnes et me dirigea vers la terre la plus proche.
Je parvins à m’amarrer à Cannes où la capitainerie m’autorisa à laisser mon
pointu jusqu’au lendemain. J’étais transie, mais tellement soulagée ! J’avais
réussi.
Qui a dit que
naviguer sur la méditerranée c’était tranquille ?
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Copyright Sylvie T |
Merci pour cette belle balade en mer ! Quelle réussite d'être publiée dans Nice Matin. Bravo.
RépondreSupprimerMerci Nathalie
RépondreSupprimerLou Pounchut c'est "SCAMPI" ... tellement vrai ! une partie de ma vie sur l'eau entre Monaco, la Baie des Anges et l'Est Varois... BRAVO
RépondreSupprimerMerci Philippe.
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