CONFINEMENT
Le soleil déclinait, faisant rougeoyer
le ciel au-dessus des toits de Paris, un Paris aux rues désertes, dont
l’absence de voitures commençait à rendre l’air respirable. Respirer ! C’était
un mot presque tabou en ce mois d’avril 2020 où sous peine de mourir étouffé à l’hôpital,
on suffoquait derrière des masques de fortune. Privés des senteurs printanières
retrouvées, les Parisiens consignés chez eux faisaient contre mauvaise fortune
bon cœur. Ils avaient réinventé les jeux de leur enfance et le fait maison de
leurs grand-mères. La tension montait parfois dans les logements exigus où il fallait
jouer tour à tour, le rôle d’enseignant, de nounou, de parent attentionné et
d’employé motivé. Une seule issue : la fenêtre avec parfois un balcon, au
mieux une terrasse. La tendance s’était inversée en cette période de
confinement. La cote des pavillons de banlieues était montée en flèche. Vivre à
la campagne était devenu un luxe.
Vingt heures. Une salve
d’applaudissements retentit. Elle résonnait de fenêtre en fenêtre, et se répandait
dans la France entière, tout comme ce virus meurtrier qui faisait si peur. On frappait
dans ses mains, sur des casseroles, on criait, on sifflait, certains en profitaient
pour exercer leurs talents de musicien ou de chanteur. On saluait les
soignants, ceux qui risquaient leur vie pour en sauver d’autres, la nôtre
peut-être un jour… Une euphorie de trois minutes, un rendez-vous quotidien après
lequel chacun allait rentrer chez soi.
Juchée sur les épaules de mon père,
je fis coucou à la petite fille que j’apercevais tous les soirs dans l’immeuble
en face. Elle devait avoir à peu près mon âge.
—Papa, tu crois qu’on pourra l’inviter pour mon
anniversaire ?
—Louise, ma chérie, je t’ai déjà
expliqué qu’on fêterait tes six ans un peu plus tard, quand le confinement
serait terminé. En attendant, pour le jour de ton anniversaire, on va faire un
beau gâteau et on soufflera tes bougies tous les quatre.
—Mais c’est quand la fin du confinement ?
Tous les soirs, après les
applaudissements, papa et maman mettaient face time sur la télé et on
communiquait avec Papi et Mamie. Téo, mon petit frère, faisait le clown et tout
le monde riait. Moi, ça me rendait triste. J’avais envie de les voir en vrai,
de me serrer contre Mamie et de lui faire des bisous, de sentir son odeur de poudre
sur les joues. J’aurais voulu sauter sur les genoux de papi pour l’écouter me
raconter des histoires. Avant, on allait tout le temps chez eux, le mercredi
ils m’emmenaient au poney. Depuis le coronavirus, on n’avait plus le droit. On
nous avait dit que c’était très dangereux de voir ses grands-parents.
J’en avais trop marre de ce virus. On
avait bien rigolé avec Emma quand la maîtresse nous avait expliqué que des
Chinois avaient mangé des chauves-souris et que c’était à cause de ça qu’ils
étaient malades. On avait dit « beuuurk, nous ça ne risque pas de nous
arriver ». Je n’aimais pas manger les animaux. J’aurais voulu être
végétarienne comme ma tata Lily, mais mes parents n’étaient pas d’accord. Ils
disaient que la viande ça donnait des forces. Ça me semblait bizarre : ma
Tata, elle était super forte pourtant, puisqu’elle défendait les femmes. Mais
j’obéissais et avalais mon steak haché enfoui sous une tonne de ketchup. La maîtresse nous avait grondées. Elle nous
avait dit que ce n’était pas drôle du tout. Le coronavirus était une maladie
très très grave, qu’on pouvait attraper même si on n’avait pas mangé de
chauve-souris, juste en se la repassant, comme la gastro. Et qu’il y en avait
partout dans le monde parce que des gens avaient été en Chine et l’avaient
ramené dans l’avion.
—Les enfants allez mettre votre
pyjama maintenant, mais avant, n’oubliez pas de vous laver les mains.
—Encore !
On se lavait tout le temps les
mains. Il fallait frotter avec le savon et compter jusqu’à vingt pour faire
partir les microbes.
Quand le président de la république
avait annoncé que tout le monde devrait rester à la maison et qu’il n’y aurait
plus d’école, on avait pris ça pour des vacances. On s’était complètement
trompés. Maman avait remplacé la maitresse et pas question de veiller le soir.
Sur le frigo, elle avait affiché un planning pour chacun de nous. Sous forme de
dessins pour Téo et moi qui ne savions pas lire. Papa et maman faisaient tous
les deux du télétravail. J’avais souvent vu papa travailler chez nous sur son
ordinateur le soir et des fois le week-end. Je savais qu’il ne fallait pas le
déranger. Cette fois c’était plus compliqué parce qu’ils devaient travailler
tous les deux et s’occuper de nous en même temps. Il fallait beaucoup
d’organisation. On avait des codes. Ne pas faire de bruit quand ils étaient au
téléphone. Téo, à trois ans ne comprenait pas toujours et ils étaient souvent
obligés d’aller s’enfermer sur le balcon pour être tranquilles.
C’était l’heure d’aller se coucher
et Téo faisait la comédie pour que maman vienne lui lire une histoire. Je lui
expliquai :
—Ce soir, c’est le tour de papa.
Maman a joué avec nous cet après-midi, maintenant elle doit travailler.
Il se calma et se glissa sous mes
draps avec son doudou tout mouillé de larmes et de salive. Papa s’assit sur le
bord du lit et commença la lecture du livre qu’on avait choisi. C’était vrai
qu’il ne savait pas trop mettre le ton quand il lisait, mais j’aimais bien
qu’il soit près de nous. Avant ça n’arrivait jamais, il rentrait toujours trop
tard ou bien il était trop fatigué. Depuis qu’on était tous à la maison, je me
rendais compte que maman avait autant de travail que lui et qu’elle devait être
fatiguée, elle aussi, le soir. D’ailleurs, tout avait changé. Papa s’était mis
à la cuisine et il faisait de trop bons gâteaux. Téo s’endormit en suçant son
pouce. Papa le porta dans son lit sans le réveiller, puis il sortit en laissant
la porte entrebâillée. Je n’aimais pas le noir complet. Mais je voulais surtout
permettre à Dolly, notre chatte, de venir me retrouver. Dès que papa fut sorti,
elle se faufila par l’ouverture et sauta sur mon lit en ronronnant. J’aimais
sentir son poids sur mes pieds. Quelquefois pour m’amuser, je remuais les
doigts de pieds et elle essayait de les attraper. Je sentais ses petites dents
à travers la couette et ça me faisait rire. Cette fois, elle vint se réfugier entre
mes bras et je posai ma tête sur la petite boule de fourrure. Elle, elle s’en
fichait pas mal du confinement. De toute façon, elle n’avait jamais le droit de
sortir. Même pas sur le balcon parce qu’elle allait vouloir attraper les
pigeons, et même si on disait que les chats retombaient toujours sur leurs
pattes, elle pouvait se tuer si elle loupait son coup. La pauvre ! On
était au dernier étage et je suis sure qu’elle aurait bien aimé aller se
promener sur les toits la nuit comme les Aristochats. Au début du confinement,
les gens ont eu tellement peur de manquer, qu’ils se sont précipités dans les
magasins et ont tout pris. Quand on est allés faire les courses, les rayons
étaient vides. On n’avait plus de papier toilette et comme on ne pouvait pas
s’essuyer, on était obligés d’aller à la douche quand on avait fait caca. Mais
le problème, c’est qu’il n’y avait plus rien non plus pour mettre dans la
litière de Dolly. Elle allait quand-même dedans et quand elle voulait recouvrir
avec sa patte, elle grattait dans le vide. Ça nous avait bien fait rire avec
Téo. Maman, elle, ne rigolait pas du tout parce qu’il y avait des traces de
pattes pleines de pipi de chat partout.
Le matin, papa et maman se levaient
toujours avant nous pour travailler et c’était moi qui devais m’occuper du
petit déjeuner de Téo. J’ouvris le frigo et sortis le lait. Je savais qu’il
allait encore râler parce qu’il n’y avait pas ses céréales préférées. Il ne
comprenait pas qu’on ne puisse plus faire les courses comme avant. On faisait
une commande sur internet une fois par semaine et on se faisait livrer. Il n’y
avait pas toujours ce qu’on avait demandé et souvent il fallait attendre une
semaine de plus. Je lui donnai un des cookies qu’on avait faits avec papa et il
partit avec devant la télé. Le matin, pendant que maman était au téléphone dans
sa chambre, on avait le droit de regarder les dessins animés à la télé. Puis,
on allait s’habiller et on se mettait au travail sur la table de la salle à
manger. Maman me faisait faire de l’écriture et m’apprenait à reconnaître des
mots. J’en connaissais déjà plein et je savais aussi lire coronavirus et restez
chez vous, parce que je les voyais tout le temps à la télé. Pendant ce temps,
Téo faisait du coloriage ou du découpage. C’était bien, mais la récré et mes
copines me manquaient. On s’appelait souvent sur WhatsApp mais j’avais surtout envie
de jouer avec elles.
Ce soir-là, j’appelai Dolly pour
lui donner sa pâtée mais elle ne vint pas. D’habitude, il me suffisait de taper
sur le bord de la boîte avec une cuiller pour la voir accourir. Je m’inquiétai.
On la chercha partout. Sous les lits, dans les placards. Pas de Dolly. Maman demanda à papa :
—Tu as bien refermé la fenêtre
derrière toi quand tu es sorti sur le balcon ?
—Je ne me souviens plus. J’avais
une conf call avec mon boss, je n’ai pas fait attention.
—Mais enfin, Arnaud, tu aurais pu y
penser quand-même !
—Elle doit être cachée dans un coin
de l’appartement. Elle ne s’est pas envolée !
Maman sortit sur le balcon et
pencha la tête au-dessus de la rambarde. Quelque fois papa nous laissait nous
approcher en nous tenant pour qu’on regarde dans la rue. Téo adorait voir les
voitures toutes petites d’en haut. Moi je n’aimais pas ça, ça me donnait le
vertige. Elle appela :
—Dolly ! Dolly ! Si elle
est partie par les toits, on n’est pas près de la revoir.
Je me mis à pleurer.
—Elle va revenir, hein, papa ?
—Mais, oui, ma puce. Ne t’inquiète
pas. Si elle est partie elle saura bien retrouver son chemin.
Maman était très en colère contre
papa et ce fut elle qui vint nous coucher. Elle lut une histoire à Téo, mais
moi je n’avais pas le cœur à ça. J’avais trop de peine. Et puis je ne pouvais
pas m’endormir sans ma petite Dolly.
Les jours passèrent sans que Dolly
revienne. Maman avait rangé sa litière et jeté la pâtée du frigo. Moi, j’avais
une boule dans la gorge qui ne passait pas. J’en voulais un peu à papa de
l’avoir laissé partir. Je me demandais ce qu’elle était devenue. Est-ce qu’elle
avait rencontré une bande de chats et qu’elle courait sur les toits la nuit, ou
est-ce qu’elle nous attendait au parc où nous la retrouverions après le
confinement ? Il faisait très beau. Maintenant qu’elle n’était plus là,
papa laissait la porte-fenêtre ouverte et nous allions souvent le rejoindre sur
le balcon. A présent, je me moquais bien de mon vertige et j’acceptais que papa
me soulève pour regarder en bas. J’avais toujours l’idée de la retrouver. Un
jour, je poussai un cri en montrant du doigt :
— Papa regarde, elle est là !
C’est Dolly ! Là, sur le balcon en dessous !
—Quel balcon ? Tu es sûre que
tu ne te trompes pas ?
—Papaaa ! C’est elle, je te
dis !
—Oh mais tu as raison !
Je trépignai :
—On va la chercher, on va la
chercher !
—Attends, il faut que je calcule de
quel appartement il s’agit. Je ne connais personne dans l’immeuble, moi. Et
puis en période de confinement, on ne peut pas aller chez les gens comme ça…
—Ils ont volé notre chat. On peut
appeler la police, sinon ?
—Non, ma chérie. On n’appelle pas
la police pour ça.
—Qu’est-ce qu’on va faire
alors ?
Je sentais mes larmes couler. Il
fallait qu’on la récupère, maintenant qu’on savait où elle était.
Papa avait compté les balcons et
avait repéré l’appartement. Nous mîmes chacun un masque et des gants et nous
allâmes sonner. Une petite voix nous répondit derrière la porte.
—Qui est-ce ?
Papa me fit signe de répondre.
—Je m’appelle Louise. J’ai six ans
et j’habite dans votre immeuble. J’ai perdu ma chatte il y a quelques jours et
je viens de la voir sur votre balcon. Je viens la chercher. Vous pouvez m’ouvrir.
Je ne vous donnerai pas le coronavirus. J’ai mis un masque et des gants.
On entendit le
bruit du verrou et une tête passa dans l’entrebâillement de la porte. C’était
une vieille dame aux cheveux blancs et à l’air tout doux.
—Je l’aimais bien
votre chatte. Je l’avais appelée Minette. Je crois qu’elle était bien avec moi.
Elle me tenait compagnie…
Je pensai à
grand-mère, la maman de papi, qui était toute seule dans sa maison de retraite
et qu’on ne pouvait plus aller voir. Maintenant qu’on l’avait retrouvée, je
n’étais plus aussi pressée de récupérer Dolly. Je lui répondis :
—Si vous voulez, je
vous la prête. Je viendrai la reprendre à la fin du confinement.
—Oh, comme tu es
mignonne !
Je vis une larme
couler entre ses rides et j’eus envie de pleurer, moi-aussi. Papa lui
demanda :
—Comment vous
débrouillez-vous pour faire vos courses ?
—C’est gentil de
vous en préoccuper. Une dame passe toutes les semaines et me dépose ce qu’il me
faut devant ma porte.
On remonta à la
maison, sans Dolly mais avec le numéro de téléphone de la vieille dame. Maman
étonnée de nous voir revenir bredouille, nous demanda :
—Alors ?
Papa
répondit :
—Je crois que nous
aurons tous beaucoup appris de ce confinement.
FIN
Comme son nom l'indique, cette nouvelle a été écrite pendant le confinement, afin d'intégrer un recueil numérique dans lequel Librinova a réuni 20 auteurs.
La totalité des bénéfices est reversée à la Fondation de France.
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